L’ encadrement des ICOs dans la loi PACTE

 
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Finalement adoptée le 22 mai dernier, après son passage devant le Conseil constitutionnel le 16 mai, la loi n°2019-486, portant Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, ou loi PACTE a fait parler d’elle, notamment parce qu’elle encadre les « initial coin offerings » (ou ICOs), ces levées de fonds opérées par la voie d’émission d’actifs numériques (appelés « tokens » ou jetons) échangeables en cryptomonnaies.

Ces opérations, pour le moins risquées, qui permettent à des particulier d’avancer de l’argent en cryptomonnaies à des projets, présentés dans des « whitepapers », sont parfois comparées à l’achat de jetons dans un casino qui n’a pas encore été construit… Jusqu’à présent, ces opérations ne faisaient d’ailleurs l’objet d’aucun encadrement juridique, en particulier d’aucun procédé propre à s’assurer d’un suivi effectif de l’argent investi, et de son retour aux investisseurs…

Les ICOs permettent toutefois de lever des fonds conséquents, ce qui amène de plus en plus de startups à y avoir recours, et elles ont encore le remarquable mérite de permettre à n’importe quel particulier d’investir dans l’innovation de manière entièrement décentralisée.

Alors que le projet de loi présenté en première lecture à l’Assemblée, se contentait d’encadrer l’activité d’émission de jetons, en permettant à de telles opérations de bénéficier de visas de l’AMF, sortes de certificats de bonne moralité (article 85), c’est suite à son examen en deuxième lecture au Sénat que le texte s’est considérablement étoffé, se proposant, plus généralement, d’encadrer le marché des actifs numériques, notamment via une procédure d’agrément (articles 86 et 87), mais également via une procédure d’enregistrement obligatoire, pour les prestataires procédant à certains types d’opérations, doublée d’un volet pénal…

Des visas de l’AMF optionnels pour l’activité d’émission de jetons

Un visa de l’AMF pour les ICOs vertueuses

Le principe est simple: tout émetteur qui procède à une offre au public de jetons peut solliciter de l’AMF un visa (article L. 552-1 du CMF), que cette autorité lui délivre si elle estime que son projet présente les garanties exigées d’une offre destinée au public (Article L. 552-5). Un tel examen s’opère au regard d’au moins trois critères (article L. 552-5 du CMF): -le projet doit être constitué sous la forme d’une personne morale établie ou immatriculée en France ; -il doit dispose de moyens permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis ; -enfin l’AMF procède à un examen du dossier du projet lui-même, en particulier le fameux document d’information, ou « whitepaper ».

Une fois son visa délivré, l’AMF dispose toujours de la possibilité retirer celui-ci, si elle estime que le projet ne présente plus les garanties appropriées, ou qu’il n’est plus fidèle à la description qui en a été initialement faite dans les différents documents d’informations. Elle peut d’ailleurs opérer une communication publique si elle estime que l’émetteur a diffusé des informations inexactes ou trompeuses concernant son visa (article L. 552-6 du CMF). De plus, l’émetteur a l’obligation de tenir informés les investisseur, notamment en ce qui concerne l’ouverture d’un marché secondaire (article L. 552-7 du CMF).

L’ouverture d’un compte bancaire garantie par la loi pour les ICos détentrices d’un visa

La future loi PACTE ne se contente pas de récompenser, pour ainsi dire, les ICOs présentant les garanties attendues pour le public en leur décernant un visa. Un amendement adopté en première lecture devant l’Assemblée nationale prévoit également que les établissements de crédit mettent en place des règles objectives, non discriminatoires et proportionnées pour régir l’accès des émetteurs de jetons ayant obtenu un visa à un compte bancaire (article L. 312-23 du CMF). Un telle rédaction a pour objet d’instituer un droit à l’ouverture d’un compte bancaire, au bénéfice de tels acteurs. En effet, les entreprises se heurtent encore souvent, notamment en France, à des refus d’ouverture de compte, au terme d’ICO réussies pourtant réussies. Les banques craignent notamment des manœuvres de blanchiment ou de fraude fiscales.

Une réglementation du marché des actifs numériques partiellement impérative

La loi PACTE ne s’arrête pas à la seule réglementation des ICOs. Elle instaure également, d’une manière beaucoup plus large, un mécanisme de contrôle des transactions relatives aux actifs numériques, d’ailleurs partiellement impératif.

Une procédure facultative d’agrément de l’AMF pour les prestataires de services d’actifs numériques

En effet, ce texte (article 86) prévoit de définir comme actif numérique (article L. 54-10-1 du CMF), laquelle notion concerne, non seulement les jetons émis dans le cadre de l’activité d’ICO, mais aussi, plus généralement, toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement…

Ainsi, il n’est plus question ici simplement d’ICOs, mais de toute offre de services concernant de tels actifs, c’est à dire également, par exemple de l’exploitation de plateformes de négociation d’actifs numériques, de la gestion de portefeuille d’actifs numériques pour le compte de tiers, ou bien encore du conseil aux souscripteurs d’actifs numériques (art. L. 54-10-2).  

En principe, les prestataires de services d’actifs numériques ne sont pas soumis à une obligation d’enregistrement, mais ils ont la possibilité, s’ils sont situés en France, de bénéficier, à titre facultatif, d’un agrément de l’AMF, délivré dans des conditions assez analogues au visa garantissant les opérations d’ICO (article L. 54-10-5). Afin de bénéficier d’un tel agrément, ces prestataires doivent notamment justifier d’une assurance responsabilité civile professionnelle ou de fonds propres, d’un dispositif de sécurité et de contrôle interne adéquat, d’système informatique résilient et sécurisé, ainsi que d'’un système de gestion des conflits d’intérêts.

Une procédure d’enregistrement néanmoins bel et bien obligatoire pour certaines catégories d’opérations sur les actifs numériques

Bien que le cadre législatif instauré par le projet de loi PACTE soit, pour l’essentiel, d’ordre incitatif, plutôt qu’impératif, il n’en demeure pas moins que celui-ci instaure une obligation d’enregistrement auprès de l’AMF pour les prestataires de services d’actifs numériques dans deux hypothèses  (article L. 54-10-2, 1° et 2° du CMF) : -lorsque ces prestataires proposent un service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ; -lorsqu’ils proposent un service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal.

Dans un tel cas, en effet, les prestataires qui entendent offrir les services en question doivent impérativement s’enregistrer auprès de l’AMF (article L. 54-10-3 du CMF). L’AMF ne procède elle-même à l’enregistrement qu’après avis conforme de l’Autorité de contrôle prudentiel. Le prestataire de services doit ainsi justifier d’un certain nombre de garanties: les personnes physiques qui détiennent ce prestataire, ou en assurent la direction effective doivent posséder l’honorabilité et la compétence nécessaires à l’exercice de telles missions, et doivent, en outre, pouvoir justifier de ce qu’ils ont mis en place des procédures et un dispositif de contrôle interne propres à assurer le respect des règles du CMF. Il est d’ailleurs, en outre, précisé que l’exercice de la profession de prestataire de services juridiques dans les domaines précités est interdite à tous les acteurs qui n’auraient pas préalablement souscrit à une telle obligation déclarative (article L. 54-10-4).

Un volet répressif à ne pas négliger…

Le caractère impératif du cadre juridique institué par le projet de loi PACTE est encore renforcé par le volet répressif que celui-ci instaure. Le fait, pour toute personne soumise à l’obligation de déclaration dont il a été précédemment question est d’un an de prison et de 15 000 € d’amende (article L. 572-23), peines qui peuvent être doublées, notamment lorsque le prestataire prétend frauduleusement avoir souscrit à l’obligation en cause.

D’ailleurs l’activité d’émission de jetons, quand bien même celle-ci ne serait pas soumise à l’obligation déclarative, peut également être réprimée, lorsque les informations fournies par l’émetteur sont inexactes ou trompeuses ou lorsque celui-ci pourrait laisser croire qu’il a obtenu le visa, alors que cela n’est pas le cas (article L. 572-27).